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Liberté et responsabilité

par M. Pierre Sauleau, directeur du collège Hautefeuille à Courbevoie.

Cette conférence a eu lieu le 24 janvier 2011

« Dieu court le risque de notre liberté. »

Nous devons aussi courir le risque de la liberté

de ceux que nous éduquons.

QU’EST-CE QUE LA LIBERTE ?

Pour saisir le sens de la liberté il est nécessaire de se situer au carrefour de la volonté et de l’intelligence de chaque personne là où la conscience a son éveil. C’est une flamme qui brûle au cœur de la personne, qui se pose en sujet face aux autres, qui est inaliénable, et ceci malgré tous les conditionnements extérieurs et intérieurs : le patrimoine génétique, l’environnement familial et social.

La liberté apparait aussi en tant que revendication sociale, avec un contenu flou et parfois en contradiction avec la notion de liberté personnelle. On peut opter librement pour des aliénations de la volonté propre : on s’asservit à des phénomènes de mode ou à une pensée dominante.

A titre d’exemple,

- La « fracture générationnelle » : les jeunes réclament ce que leurs parents leur refusent ou ne comprennent pas, c’est un phénomène de toutes les époques.

- La régression des loisirs nobles au profit des jeux vidéo, l’usage d’internet à outrance avec les réseaux sociaux

- L’obsession pour les musiques dures.

- A l’extrême : l’addiction à l’alcool ou à la drogue…

Or la liberté, ce doit être l’expression de la personne dans ce qu’elle a de plus noble. Elle ne va pas de soi, il faut l’acquérir et pour cela le rôle de l’éducation est crucial.

I. Autonomie

Éduquer : c’est transmettre des connaissances, des savoir-faire, mais aussi et fondamentalement des manières d’être, de se comporter, de se maitriser en vue de faire émerger une autonomie.

Autonomie : un mot un peu ambigu : la loi ne vient pas du sujet ; elle doit se découvrir dans la nature des choses, comme de la nature de l’homme

Beaucoup de discussions philosophiques, voire théologiques, sur la nature, mais dans l’acception courante, le concept est facilement perçu. On ne travaille pas le bois sans respecter la nature du bois, suivant qu’il est dense, fibreux, souple ou dur…

Dans la nature de l’homme, il y a des aptitudes : intelligence, volonté, mémoire, mais aussi une somme des conditionnements – au point d’en faire douter plus d’un sur la réalité de la liberté- : éducation au sens formel, milieu, santé, langue, relations familiales et sociales, qui pèsent sur les comportements.

Or, dans ces entrelacs qui contraignent la personne, il y a du jeu, des espaces ouverts au choix, à l’imprévu, à la nouveauté, à l’adhésion ou au refus. C’est sa liberté, son autonomie, cette capacité/volonté d’être sa règle.

L’homme est comme le surfeur sur sa vague : lourd de son passé, il avance sur la crête du présent qui se déroule, tant que la vie dure. Le surfeur sur sa vague avance dans la force du rouleau avec une étroite marge de manœuvre : la fin du rouleau est toujours proche. Pour l’homme, surtout quand on est jeune, l’avenir est perçu comme long, voire indéfini.

Même si le jeune vit surtout au présent, sa vie se conjugue constamment au futur : ce qu’il fera ce soir, ce week-end, aux prochaines vacances, dans les années à venir : des actes sont constamment posés pour réaliser ces objectifs.

Son autonomie, sa liberté doivent lui permettre d’agir en fonction des buts qu’il veut atteindre. La liberté n’est pas tant dans la capacité de choix – une sorte de puissance passive – mais dans le fait d’agir en fonction du but poursuivi.

C’est l’image bien connue de Kant : cent thalers dans ma poche me permettent d’envisager beaucoup d’achats possibles. Mais ma liberté est-elle là ? Ce n’est que l’ombre de la liberté, car celle-ci consiste à dépenser les cent thalers dans un achat qui me convienne. Utile ? Beau ? Bon ? Ou tout à la fois, cela dépendra. Dans cet acte-là, je renonce à tous les autres possibles, mais j’exerce ma liberté.

Il est très important de faire découvrir que la liberté consiste à agir en fonction du but que l’on s’est fixé. Certes il faut bien choisir le but, et cela demande réflexion ; mais il y a une tendance naturelle vers le bien, le juste, le vrai, le beau.

Et il y a une loi morale, un guide mis par Dieu dans l’homme pour qu’il parvienne à sa fin. Ce guide est découvert par la raison et la conscience, capacité innée de juger des actes.

C’est quand je ne réfléchis pas, que je ne considère pas le terme, que je me laisse porter par la pulsion, le sentiment d’un moment que je peux poser des actes qui ne sont pas vraiment des choix, mais des pentes. Je me soumets à des envies passagères, à une mode, à une tendance irréfléchie, à la loi de la facilité.

Or dit Gide : il faut suivre sa pente, mais en montant. Je ne sais pas s’il s’est appliqué cette maxime, mais elle est très pertinente. Suivre sa pente, ses inclinations, mais que cela corresponde à un choix bien pesé. Or cela suppose un effort sur soi.

ii. eduquer la liberte ?

1. developer le gout de L’effort

Peut-on exercer sa liberté sans cultiver la notion d’effort ? Sûrement pour des choses de peu d’importance : choisir entre deux films… Et encore, s’il y a le choix entre un film d’action, sanglant, avec un héros malmené mais qui surmonte toutes les embûches… et un film qui suppose une réflexion, qui creuse des personnages, recherche une beauté plastique au détriment d’un rythme trépidant, le choix, même ici, passe par un effort.

L’effort est bon en soi, il n’est pas seulement le prix à payer dans notre condition humaine déchue. Adam lui-même, avant la chute, n’a pas dû être privé de l’effort, mais seulement de l’erreur et de la douleur. Dispensé de la douleur, mais pas de l’effort en soi. Dans une course en montagne, l’effort coûte, mais il fait partie du plaisir de la victoire, de la victoire sur soi et sur les éléments. L’effort qui fait se dépasser, qui franchit les obstacles, imprime sa volonté dans les choses, manifeste la liberté. Je ne suis pas le jouet des circonstances.

Cela est difficile à comprendre quand on confond liberté avec la jouissance du bien-être sous la forme qui m’est accessible. « Soif d’aujourd’hui » : le slogan de Coca-cola (Carpe diem d’Horace modernisé) est un mirage auquel cède facilement la jeunesse, qui a du temps, qui n’a pas de responsabilités, qui a soif de sensations nouvelles…Prendre du bon temps, jouir du soleil, de la mer, des amitiés, des amourettes, prendre des pots interminables en fumant des cigarettes, déambuler sans but avec des amis, discutailler indéfiniment… Entreprendre des activités diverses sans en terminer aucune, sans persévérer dans aucune… Suivre les impulsions du plaisir.

On n’empêchera pas la jeunesse d’être la jeunesse : toutes les époques ont leur jeunesse regardée d’un œil circonspect par la génération précédente, l’âge mûr. Mais comment faire pour que l’hédonisme – qui est une tendance de la jeunesse plus que d’une époque – ne mine pas durablement la personnalité et par là le vrai exercice de la liberté ?

En inculquant le goût de l’effort en encourageant des activités qui supposent effort et constance. La pratique des sports est pour cela très bénéfique, parce que le sport attire les jeunes et qu’il y a là une école de vertus.

Mais aussi en développant le sens des responsabilités.

2. SUSCITER LA PRISE DE Responsabilité

Responsabilité : répondre de ses actes devant soi-même, devant les autres, in fine devant Dieu.

Elle découle des engagements libres. Quand on s’engage vraiment, on assume les responsabilités qui vont avec, comme une conséquence naturelle. Cherche-t-on la responsabilité ? Ce n’est pas le but premier, mais on accepte de se sentir responsable. Cela apparaît bien dans le scoutisme, même chez les très jeune. Le louveteau aspire à devenir scout, puis le scout, chef de patrouille etc, avec ce que cela implique. Et ainsi de suite.

Éduquer à la responsabilité ne doit pas d’abord relever de la morale du devoir, de l’impératif catégorique, même du devoir d’état, en tous cas chez les plus jeunes : notions trop abstraites. Ouvrir des perspectives : travail scolaire, loisirs, services à rendre à ceux qui en ont besoin.

Proposer des buts à atteindre, des engagements à prendre, ou donner son accord à des projets qui émanent des intéressés. Cela demande plus d’imagination que de prendre soi-même des initiatives ou de faire une leçon de morale.

A propos du travail scolaire : parler en termes d’objectifs et non de menaces encourues. Il ne sert à rien ou presque de faire envisager des catastrophes, des échecs : cela n’agit pas sur la volonté autrement que par la peur, qui n’est pas un bon ressort. Malgré l’efficacité de la peur du gendarme pour observer le code de la route. Distinguer le moment présent de la perspective d’avenir. Un échec maintenant est compatible avec la réussite à terme. Regard réaliste, optimiste

Respecter l’autonomie dans des choses secondaires. Cesser progressivement d’imposer des règles ou des comportements, sur tout ce qui est secondaire. Qu’arrive-t-il si la longueur des cheveux et le précepte dominical sont exigés pareillement ?

Faire découvrir que ce qui est bon mérite les efforts que cela suppose : rendre visite à une vieille tante, à une personne malade, aller à la messe sans envie mais parce que c’est bon en soi ; de même travailler ses maths pour améliorer ses performances, surtout quand elles sont médiocres…

Argent de poche : gagner ce que l’on veut avoir permet de se rendre compte de la valeur des choses ; gérer un budget, même modeste, va dans le même sens.

Cultiver la sobriété pour ne pas s’attacher aux biens matériels comme seul horizon de désir : on ne peut pas tout avoir, on ne peut adopter chaque nouveauté.

III. EDUQUER DANS LA LIBERTE

1. FAIRE confiance

Faire confiance donne confiance : ne pas faire peur, pour que la vérité puisse être dite. Les enfants peuvent décevoir, ils sont comme tout un chacun libres et faibles : ne pas projeter sur eux une image idéale à contre temps.

Ménager des espaces de liberté où exercer sa responsabilité à mesure que la maturité se manifeste : la confiance est formatrice. Elle est un don fait à la personne de l’intéressée, qui nourrit l’estime de soi, indispensable pour agir de façon responsable. L’âge n’est pas un critère objectif : on peut être mûr à 14 ans, voire plus jeune, et ne pas l’être à 20.

Saint Josémaria : « J’ai plus confiance en toi qu’en la parole de cent notaires unanimes. »

Dans le temps libre : laisser de la place à l’initiative personnelle. On voit des jeunes trop occupés, en tous cas à Paris : tennis, judo, instrument de musique, scoutisme, servant d’autel… Quelle place pour leur autonomie, même si ce sont toutes de bonnes activités.

Dans le travail : faire réfléchir en termes d’objectifs atteints ou non, de moyennes obtenues : plus que la guerre aux notes, regarder les buts à atteindre. Plutôt que poser : « Est-ce que tu as du travail pour demain ? », c’est mieux de dire « Quelle moyenne as-tu dans telle matière ? Est-ce conforme à tes attentes, à tes possibilités ? Est-ce que tu as besoin d’aide ? De quelle aide précisément ? »

Avec l’argent : Les principes peuvent être différents suivant les familles : tous respectables. Il est a priori intéressant de savoir gérer un budget pour les frais courants ; de savoir économiser pour un achat plus important ; de gagner de l’argent pour certaines tâches. Ce qui ne veut pas dire rémunérer tout travail : dans la famille, il faut savoir agir gratuitement.

Dans la vie à la maison, attribuer des responsabilités proportionnelles à l’âge et possibilités de chacun, compter sur chacun pour préparer la table, desservir, participer à la vaisselle, s’occuper d’un cadet, faire des achats…

Veiller aux effets néfastes de la surveillance rapprochée induite par le portable.

Parler des amis et de leur influence, sur le travail, les sorties, les autres amis : c’est un sujet intéressant. Il faut limiter les risques d’erreur dans le choix des amis, mais on ne peut le diriger ; il faut donc stimuler le bon sens, voire l’esprit critique : les mauvaises amitiés, c’est l’intéressé qui s’en dégagera.

Accepter de voir les enfants prendre leur vie en main : « la valeur n’attend pas le nombre des années », même si de nos jours la maturité tarde souvent à venir. On n’est plus général d’armée ou évêque à 20 ans comme dans l’Ancien Régime.

2. Parler avec à propos.

Développer le sens du bon, du juste, du vrai, du beau par des conversations en tête à tête, et à tête reposée, en comptant sur les avis de l’intéressé.

Donner des idées repères très tôt, rarement on le fait trop tôt, mais souvent trop tard : le bien d’autrui (vol), la vérité (mensonge, triche), le respect de son corps et la maîtrise de soi (éducation à la pureté chrétienne), les amitiés nuisibles, la drogue et l’alcool (le tabac aussi, mais sans le mettre sur le même plan à mon avis). Les jeux vidéo, internet, les musiques dures…

Les conditions de la bonne communication supposent l’ouverture à la communication : la réprimande replie l’intéressé sur lui-même, qui laisse passer l’orage, se protège des intempéries en enfonçant le cou dans son imper, pour donner le moins de prise aux éléments.

Dissocier morale et réprimande : cette dernière rend odieuse la morale. Quand on a fait quelque chose de mal, la conscience est déjà un reproche, on est déçu de soi-même. Les parents ou les éducateurs peuvent, voire doivent, montrer leur désaccord, et sanctionner avec mesure (tu n’auras rien pour Noël). La justice rétablit l’ordre. Ce qui est rassurant et positif au fond.

Dissocier l’acte de la personne : un principe bien connu, mais difficile à pratiquer dans le feu de l’action. Faire réfléchir quand il n’y a pas de tension, dus à l’exacerbation des sentiments.

Dire ce qu’il faut dire, de façon positive, stimulante, même s’il n’y a pas de réaction notable de la part de l’intéressé, ou même s’il y a rebuffade ou apparente désinvolture.

Il ne s’agit pas d’avoir le dernier mot – d’imposer sa volonté – mais de nourrir la conscience. Dire ce qu’il faut au bon moment, c’est comme planter des clous. Les clous restent ; on pourra y accrocher quelque chose, le jour venu.

Verba volant, dit-on : oui, s’il y en a trop. Mais verba manent aussi bien que les scripta dans le cœur de ceux à qui on les dit. Les mots justes, qui viennent de son propre cœur, tombent dans le cœur des enfants et s’y gravent.

IV. CONCLUSION

Paradoxe : La liberté ou le choix des contraintes, ou des responsabilités. Pas de liberté en acte sans limitation apparente de cette liberté.

Pour éduquer à la liberté : semer des éléments de réflexion, canaliser aussi longtemps que possible cette liberté dans l’attente que chacun découvre comment vivre libre ; avec le risque qu’il ne le découvre pas. Mais il vaut toujours courir des risques dans la vie : pas de vie sans risque.

On ne peut pas donner la liberté plus que la santé : on met toute sorte de moyens et puis arrive ce qui arrive. Vouloir la liberté, comme Dieu la veut pour les hommes, malgré les risques.

Exemples de contraintes à s’imposer pour vivre vraiment libres : usage d’internet, consommation d’alcool ou de tabac. Drogue : pas même une question de mesure ; c’est un non radical. Relations avant le mariage : ce devrait être la même chose. Mais c’est plus une question d’idéal chrétien, de respect mutuel.

La liberté suppose de prendre des décisions : il faut aux intéressée la possibilité de la décision et l’acte de la décision, des décisions successives en vue du bien poursuivi. Laisser prendre des décisions avec les risques que cela comporte.

Sans tout soumettre au choix : le régime de la consultation permanente est fatigant. Il faut aussi des routines : « La routine, c’est la liberté » disait quelqu’un. Elles libèrent l’esprit et dégagent du temps pour les actions libres.

Liberté et vie chrétienne

Nous n’avons pas abordé cet aspect, qui demanderait bien d’autres développements, à savoir le fondement surnaturel de la vraie liberté, qui est la libération du péché gagnée par le Christ : « libertate qua Christus nos liberavit ».

La liberté plénière se trouve dans l’accomplissement de la volonté de Dieu sur nous : « Je marcherai librement/Car je cherche tes préceptes. » (Ps 118). C’est dans l’imitation du Christ que l’on parvient à la plénitude de la vie humaine et à la liberté consécutive : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » (Jn)

Le ressort de la lutte pour vivre droitement et par là librement, se trouve dans la grâce, participation à la vie divine. C’est pourquoi il est important de placer les enfants face au Christ, pour que le Christ agisse dans leur cœur.